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Festival 14.09.2021

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Choralp Briançon 2021

Rencontre avec Thierry Thiébaut, président du comité du festival

 Malgré ses 74 ans, Thierry Thiébaut court comme un jeune homme sur tous les fronts de la musique chorale. Président d’A Cœur Joie International, il a fondé, il y a dix ans le Festival dont nous parlons ici. On le verra se glissant d’un lieu à l’autre arpentant les routes très pentues de Briançon, aidant ici à déplacer des percussions, présentant les concerts de sa magnifique voix ou même remettre en place des affiches arrachées par la grêle.

Choralp se déroule la 3ème ou 4ème semaine de juillet, du samedi au samedi suivant. Il propose deux ateliers préparant et exécutant une œuvre du répertoire. Cette année, ce furent les Vêpres de Sergueï Rachmaninov et le Roi David, d’Arthur Honegger.  Des chœurs entiers peuvent s’inscrire. Ils auront dès lors la possibilité, en plus de l’atelier, de donner chacun un concert dans des villages des cinq vallées dont Briançon est le centre. Des choristes peuvent également s’inscrire individuellement. Chaque atelier possède un noyau solide avec la présence d’un chœur pilote. Le chœur pilote est un chœur d’élite qui a déjà préparé le morceau. C’est Thierry Thiébaut lui-même qui choisit les chœurs pilotes, le président du festival ayant également la responsabilité de la partie musicale de ces rencontres chorales. L’un des buts de Choralp est de permettre aux chœurs qui ne peuvent se permettre d’aborder une grande œuvre du répertoire de réaliser leur rêve musical avec un répertoire varié pour chaque édition. Créations, musique profane, musique sacrée, programme a cappella ou avec solistes et orchestre, il y en a pour tous les gouts. S’il n’y a pas d’examen d’entrée ou de prérequis demandé, il faut tout de même avoir une certaine culture vocale, ne serait-ce que pour supporter le rythme demandé. En effet, monter des pièces comme le Roi David ou les Vêpres en quelques jours demande moult répétitions entrecoupées…d’autres répétitions pour permettre aux chœurs présents de préparer leur propre concert.

Sans chœur pilote, le festival ne pourrait pas accomplir sa mission, cela permet un son équilibré, cela entraine les choristes moins avisés tant sur le plan vocal que sur le plan solfège.

 

Budget

Les stagiaires paient une inscription qui leur coute 300 €, les chœurs pilotes sont invités. Les choristes qui n’habitent pas trop loin ne payent que leur inscription, ayant la possibilité de rentrer chez eux entre deux sessions, d’autres choisissent l’option musique/repas, la majorité choisissant le forfait musique/repas/logement. Il faudrait en tout et pour tout 200 choristes pour que les finances soient équilibrées, mais, Covid oblige, seulement 80 chanteurs (hors chœurs pilotes) se sont inscrits cette année. Ce ne sont pas les 4.000 euros de subvention qui réussiront à équilibrer le budget, mais, gageons que la réussite de cette édition, tant sur le plan musical qu’au niveau de l’ambiance, va faire revenir les participants de cette année et que moult choristes supplémentaires vont s’inscrire pour la prochaine édition, laquelle aura lieu en 3ème ou 4ème semaine de juillet, nous en reparlerons.

 

 

Photo: Mise à disposition

Trois concerts

Ensemble vocal InChorus, France

Direction Pascal Adoumbou

L’ensemble vocal InChorus est le chœur pilote servant de noyau à l’atelier consacré au Roi David, d’Arthur Honegger. Notons que, pour ledit atelier, les soli sont assurés par des chanteurs de cet ensemble, ce qui en dit long sur la maîtrise vocale et musicale du chœur. Mais l’ensemble vocal s’est également présenté dans un répertoire dont il s’est fait la spécialité, à savoir des pièces des 20ème et 21ème siècle. Rien qu’en lisant le programme, d’une énorme exigence technique, l’on peut s’attendre à un concert de qualité. InChorus va tenir la promesse. Par sa gestique à la fois précise et très démonstrative, Pascal Adoumbou va chercher chaque chanteur, exigeant un total don de tous. Ce que l’on remarque dès les premières mesures de « O Emmanuel », une page d’Andrej Makor écrite en 2016, c’est l’engagement corporel et affectif de tous les chanteurs. Cette musique est une découverte intéressante, sous-tendue de grégorien, très bien écrite, dans laquelle le chœur fait montre de grandes qualités. Vous pourrez le constater en l’écoutant après avoir cliqué sur ce lien :

https://www.youtube.com/watch?v=XPmbbOueIjY&t=65s

S’ensuivent les « Motets pour un temps de pénitence », célèbres pièces de Francis Poulenc, qui tiennent magnifiquement la route, malgré quelques duretés vocales. Le son devient incroyable dans « Ejszaka & Regel » composé en 1955 par György Ligeti. Et l’on se prend à comparer cette force aux montagnes qui nous entourent. Si les dernières mesures souffrent d’un léger relâchement, il faut songer que l’ensemble a, lui aussi, souffert de l’absence de répétitions due à la pandémie…

Si Werner Egk (1901-1983) est fort connu en Allemagne, ces « Französiche Chöre » sont une rareté. Et c’est bien dommage, tant ces pages sont magnifiquement écrites. Entre la « Chanson I » et un « Rondeau » aux pianissimi remplis d’énergie, Pascal Adoumbou a eu la riche idée de placer « Trois beaux oiseaux du paradis » de Maurice Ravel, chanson dans laquelle on peut apprécier la sensibilité des solistes du chœur.

C’est en 2001 qu’Eric Whitacre a composé son sympathique « Leonardo dreams of his flying machine ». Les choristes se donnent à fond dans cette musique mêlant des formules typées Renaissance à quelques bruitages de souffle et agrémentée de petites percussions. La pureté des accords donne le frisson. S’ensuit un « Alleluia » (2014) de Jake Runestad aux rythmes pétillants non seulement parfaitement maitrisés, mais totalement vécus dans le corps de chacun, ce qui déclenche une standing ovation totalement méritée.

Photo: Mise à disposition

Les Vêpres de Rachmaninov

Après leur création, en 1915, les Vêpres de Sergueï Rachmaninov ont été saluées comme étant l’une des plus grandes réalisations musicales de l’église orthodoxe russe. Le rituel orthodoxe proscrivant l’usage de tout instrument (seule la voix humaine est digne de louer Dieu), cette partition est écrite a cappella. Paradoxalement, elle exige des choristes des qualités instrumentales, tant sur le plan du souffle que de la conduite des grandes lignes mélodiques. En répétition, Jan Schumacher insiste sur l’énergie à mettre dans le son, sur la couleur particulière que réclame cette musique, sur la sonorité des accords. Le grand chef allemand, bien connu sous nos latitudes pour avoir participer comme jury à bien des concours, possède un charisme incroyable. Il exige beaucoup, mais toujours avec le sourire. Quelques perles :

« Les basses, c’est magnifique, mais ce serait encore mieux si vous songiez à chanter en même temps que les autres ! »

« Habituellement, je vous assure que je suis un ardent défenseur de la démocratie, mais là, si vous le voulez bien, je vous prie humblement de vous rallier à ce que je viens de demander… »

Le chef travaille beaucoup avec un arsenal de mimiques qu’il distille à la fin de chaque thème, lesquelles en disent plus que de longs discours.

Le concert fait ressortir l’intelligence et l’efficacité du travail de Jan Schumacher. Dans ces extraits des Vêpres, les festivaliers et le chœur pilote (chœur de chambre de l’Académie de Musique de Ljubljana) sont emportés par la ligne souple qu’imprime le chef. Le son est d’une rondeur magnifique, très riche en harmoniques et, lorsque les voix sont démultipliées, on ne peine pas à entendre les graves abyssaux des basses quand bien même les soprani sont dans le suraigu. L’extraordinaire pureté des accords fait tournoyer les sons en la collégiale de Briançon et enveloppe le corps de chaque auditeur au point que cette musique sacrée devient charnelle. Impossible de rester à l’extérieur de ce qui se passe, il s’agit d’un réel partage entre exécutants et public. Chapeau bas, maestro !

Photo: Mise à disposition

Le Roi David d’Arthur Honegger

C’est par ce célèbre drame biblique que Choralp 2021 se termine. Quelle gageure ! Monter en une semaine un tel oratorio n’est pas chose aisée… La cheffe Valérie Fayet a relevé le défi et a largement gagné le pari. Très impliquée dans sa direction, elle distille avec précision et sans effet de manche l’essence de cette musique dont elle maîtrise toutes les subtilités.

Le jeune garçon Clément Teisseire nous gratifie d’un premier psaume (L’Éternel est mon berger) en campant le jeune David dans un solo touchant, d’une belle justesse et avec assurance. L’orchestre réussit des pianissimi remarquables pour soutenir la voix de l’enfant pour faire place ensuite à un chœur impeccable tant pour ce qui est de la précision rythmique que de l’engagement vocal. La diction est excellente, chaque mot passe la rampe, dans toutes les palettes de nuances, ce qui n’est pas aisé dans l’acoustique très généreuse de la Collégiale Notre-Dame. Les autres solistes sont assurés avec panache par des choristes du chœur pilote (InChorus), lesquelles rejoignent le rang choral entre deux soli, ce qui relève du marathon vocal ! Si la Pythonisse de Jacqueline Liabastre remplit les attentes, ses imprécations donnant le frisson au public, le récitant Christian Jacquemmoz reste quelque peu en retrait et il est difficile de percevoir le texte de René Morax. L’orchestre, quant à lui, se pare de couleurs différentes suivant le psaume, faisant montre d’une magnifique rondeur. Un concert de clôture synonyme de pur bonheur, Valérie Fayet ayant su tirer le meilleur de chaque festivalier pour obtenir un résultat qui mérite toutes les louanges.

Photo: Mise à disposition

Thierry Dagon