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Choeurs 15.07.2020

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Sous la loupe avec Dominique Tille

Ce portrait va se dérouler sous forme de discussion entre amis, par exemple le soir autour d’un verre. Les questions s’enchaînent au grès d’un moment fort sympathique entre Dominique et moi, comme nous en avons eu tant. Notre motivation pour l’art choral est née en même temps. Nous avons même imaginé que sans nos projets fous avec le chœur des jeunes de Lausanne, nous serions peut-être passés à côté de ce métier. Voici le résumé de notre entretien.

 

N. R : Comment est-ce que tu t’es approché de l’art choral ? Y a-t-il eu des déclics qui t’ont amenés à cette carrière ?

D. T : J’ai commencé par le piano, puis la clarinette au gymnase. J’ai pris ensuite une année sabbatique pour faire uniquement de la musique et me préparer à l’entrée au Brevet de maître de musique au Conservatoire de Lausanne. Le chant choral faisait déjà partie de ma vie, car mon père, Philippe Tille, dirigeait des chœurs (La chorale des Bouchers, la chanson de Lausanne). La vie associative faisait partie de la famille, il était très naturel de s’investir dans ce milieu. Je traînais déjà dans les soirées de chœurs et les galas de sociétés folkloriques. Je n’ai pas eu de déclics durant ces années de découvertes.  Mais cela m’a amené au Brevet de maître de musique. Les déclics et les rencontres ont été plutôt durant cette période d’études professionnelles en musique. La direction dans le cadre de la formation au Conservatoire, la rencontre avec un certain Nicolas Reymond qui m’a entraîné avec lui dans une formation professionnelle… Dominique Gesseney, doyen du Brevet en ce temps qui m’a beaucoup encouragé. Il a repéré une aisance naturelle chez moi pour la direction de chœur et m’a motivé à persister dans cette voie. A partir de là, le grand déclic, ce fut la rencontre avec Michel Corboz, et l’envie de créer le Chœur des jeunes de Lausanne avec toi. Le premier concert du Chœur des jeunes de Lausanne restera à jamais gravé dans ma mémoire. Ce fut une magnifique expérience. Il y a eu aussi ce trio Parataxe (en rhétorique, phrases assez courtes) composé de trois amis avec lequel nous avons monté des pièces, fait un premier concert avec des potes, invité des guests-stars. Cette patte du mélange des compétences et des arts, je l’ai gardée tout au long de ma carrière. La joie de partager était naturelle. Premiers déclics de découverte du plaisir de créer des projets et de chanter.

Je me rappelle aussi que nous cherchions ensemble des pièces à la BCU. On écoutait des CD, on ne connaissait rien. Découvrir du Poulenc, Debussy, d’autres maîtres pour la première fois, ce fut magique. Duruflé est le compositeur qui m’a le plus touché au début, puis Poulenc.  

Puis le grand déclic au niveau professionnel fut mon année à Berlin lors d’un échange Erasmus. Rencontre avec le « Staadt und Domchor » de la « Hochschule » de Berlin et son chef Kai-Uwe Jirka. Nous faisions beaucoup de musique sacrée à Berlin, car le diplôme était lié à la « Kirchmusik » (musique d’église).

Puis il y a eu ma nomination au chœur de la Cité, un chœur qui avait une grande réputation dans la région. C’est à ce moment que je me suis dit que je pourrais faire de la direction de chœur mon métier. Je me suis alors écarté du métier de professeur de musique.

Au niveau des maîtres pour la direction de chœur, après Michel Corboz qui avait une façon de faire innée et très naturelle, j’ai eu la chance de suivre une année de cours encore à Genève avec Michel-Marc Gervais. Son enseignement était très technique et je suis heureux d’être aussi passé par là, car je suis plutôt instinctif dans ma manière de diriger. Kai-Uwe Jirka à Berlin mélangeait les deux, la technique et l’instinct. Voici une phrase qui m’a d’ailleurs particulièrement marquée de Michel- Marc Gervais :

« Tu peux tout à fait continuer à diriger comme tu le fais, ça va marcher, mais une fois cela ne va plus marcher et tu ne sauras pas pourquoi ».

 

N. R : Ce qui nous amène à ma deuxième question, quels sont les aspects les plus importants à ton avis dans la direction de chœur ?

D. T : La direction s’apprend. Ce n’est pas un truc qu’on a ou qu’on n’a pas. Il faut donc de la technique. Savoir pourquoi cela marche.

L’autre aspect très important selon moi est de trouver son identité d’artiste. J’ai eu une phase où j’étais bloqué. Ce que je faisais avait perdu un peu de sens. Je faisais beaucoup de répétitions, de projets, mais ne savais pas pourquoi je faisais cela. Je n’avais pas encore trouvé mon identité d’artiste.

Ma professeure de piano à l’école de musique de Pully, Vanda Brauner, m’a suivi jusqu’à la première année de Brevet de maître de musique. Elle s’adressait déjà à l’artiste qui était en moi. Elle était attachée à la musique plutôt qu’à la technique. Heureusement, j’ai ensuite profité de l’enseignement de Michel Corboz qui allait tout à fait dans ce sens également. N’ayant pas tout à fait encore trouvé qui j’étais artistiquement, j’ai eu besoin de quelque chose pour me bousculer, me sortir de mes limites. Ce fut la comédie musicale. J’étais mauvais au début ! C’était une tout autre approche que le classique. J’avais besoin de sortir d’un certain milieu. J’ai rencontré ensuite mon futur mari qui venait d’accepter un travail à New York. Quelle belle opportunité d’avoir pu le suivre à la source même de la comédie musicale ! J’ai pu bénéficier de cours de chant non classique, de danse et  de théâtre. J’ai eu l’occasion de croiser de magnifiques professeurs. L’avantage du côté business de la comédie musicale là-bas c’est qu’il y a plein d’élève et donc plein d’écoles et d’excellent-e-s professeur-e-s. Et j’ai enfin compris grâce à mes cours de théâtre qu’en musique, nous apprenions la technique, mais pas notre présence, notre qualité artistique. Le travail sur les valeurs et notre ADN artistique est presque absent des cursus. En tant que chef, nous pratiquons surtout la mise en place d’un répertoire, la technique vocale, la justesse, etc…. Nous ne sommes pas assez dans le « Pourquoi ».

Par ces cours de danse et de théâtre, en apprenant quelque chose de nouveau dans un milieu dans lequel j’étais débutant, j’ai découvert ce que j’avais envie de faire et pourquoi. Je n’ai ensuite pas forcément fait les choses différemment, mais je sais mieux pourquoi je les fais.

 

N. R : Pour les cours de direction, qu’est-ce que tu as envie d’apporter aux étudiants ?

D. T : Je commencerais par essayer de définir quel projet habite chacun et comment développer des compétences autour de ce projet pour y arriver.

Ensuite, je travaillerais le lien avec son corps. Il est plus dur de communiquer en terme de mouvement intérieur, de mouvement vocal ou de présence scénique. Ces notions ne sont pas encore assez présentes chez les personnes qui font de la musique classique ici.

 

N.R : Quels sont les projets qui t’ont le plus formé en tant qu’artiste durant ces dernières années ?

Et en général, voici quelques projets marquant dans une liste non exhaustive :

  • Projet d'échange avec la grande chorale de Godomey à Cotonou au Bénin, 2009.
  • Passion Selon Saint-Matthieu, cathédrale de Lausanne et Fribourg, 2010.
  • Direction du Chœur Suisse des Jeunes de 2011 à 2015. Participation à l’enregistrement S isch äben e Mönsch uf Ärde, 2020.
  • Le Mur du Son, un spectacle réunissant 250 choristes et un orchestre dans Le mur– une structure d’échafaudage avec projections multimédia, 2012.
  • Blue Flower Songs, avec  L’Académie vocale de Suisse romande, et Jérôme Berney. Premier projet d’une série sur le cross over entre chant classique et Jazz, Cully Jazz et Montreux Jazz festival, 2013.
  • Les Chants du Petit Ciel, création Anne-Sylvie Casagrande avec l’ensemble vocal Callirhoé et le trio vocal Nørn, Orbe et Théâtre du Jorat, Mezière, 2014.
  • Voix des villes, premier d’une série de spectacles musicaux théâtraux, dont le chœur tient le rôle principal, avec la compagnie 5/4 et Voix de Lausanne, 2015.
  • Le ciel de Rameau, un spectacle complétement baroque, avec le Chœur de la Cité et Marion Jeanson, Halles CFF de Morges, 2015
  • Quatre ans de formation en chant non classique, danse, étude du mouvement et théâtre à New-York, 2016-2019.
  • Solstices, spectacle de la fête du blé et du pain, 2018.
  • La lutte finale au théâtre du Jorat. Spectacle intergénérationnel et interdisciplinaire sur les chants de lutte et d’utopie, 2018.
  • Création du Collectif Sondheim. Concert symphonique de comédie musicale et premier rôle avec une troupe professionnelle dans Sweeney Todd, le barbier démoniaque de Fleet Street, 2019.
  • Assistant de Michel Corboz au Chœur de la Fondation Gulbenkian à Lisbonne, 2019.
  • Sotto voce avec la compagnie Linga, création interdisciplinaire entre danse et chant, 2020.

 

Tous ces projets avaient des démarches extrêmement intéressantes, le chemin était tout aussi passionnant que le résultat.

Les projets du chœur des jeunes de Lausanne puis de Voix de Lausanne font partie de mon ADN artistique. Certain-e-s des choristes m’ont suivi de mes débuts à maintenant. Par rapport à d’autres chœurs, on se rend moins compte des limites d’un travail uniquement musical.

 

N.R : Et le mot de la fin ?

D. T : Je dirais que pour être un artiste aujourd’hui, il faudrait pouvoir dépasser les limites de son domaine. Je me sens bien dans un milieu comme la comédie musicale, où les comédiens-acteurs-chanteurs sont valorisés pour être des généralistes. L’art global est à mes yeux une richesse dont il faut profiter ! La vie de chef c’est l’envie d’utiliser toutes ses compétences comme autant d’éclairages pour aller au cœur de la musique et donc au cœur de ce qui touche !

Sotto voce - Linga

Voix des villes, Voix de Lausanne

Mur du son

Nicolas Reymond