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Musique 03.06.2019

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Découvertes alphabétiques : R comme Ravel

Boléro

Si l’on parle de l’œuvre de Ravel, il y a de fortes chances pour que le Boléro soit cité. Il s’agit certes de la pièce la plus célèbre de notre compositeur. Cette œuvre est l’une des plus jouées sur la planète et l’on a coutume de dire qu’une exécution du Boléro commence toutes les 10 minutes dans le monde. Cette pièce durant dix-sept minutes, elle est donc jouée à tout moment quelque part ! Quelques bienpensants qui se gaussent en portant des jugements à l’emporte-pièce se moquent du Boléro, le jugeant ennuyeux parce que répétitif. Ils oublient que, dans les paramètres musicaux, il n’y a pas que le rythme (durées) et la mélodie (hauteurs), lesquels sont d’ailleurs remarquables dans cette pièce, mais qu’il convient de s’attarder également sur les deux autres paramètres que sont l’intensité et le timbre. Intensité : le crescendo perpétuel qui jalonne cette page est absolument prenant et c’est une gageüre pour le chef d’orchestre de le doser afin qu’il soit constant. Timbre : Ravel est un orchestrateur hors pair et il en fait montre dans le Boléro. Il emploie des instruments rares à bon escient : hautbois d’amour, petite clarinette, saxophone soprano et saxophone ténor, célesta, petite trompette en ré…

Mais il est vrai que le compositeur n’était pas tendre avec sa pièce, déplorant que celle-ci fasse de l’ombre à ses autres compositions.

Nous vous proposons une vidéo dans laquelle le merveilleux chef Leonard Bernstein explique le Boléro par l’exemple à des jeunes :

https://www.youtube.com/watch?v=fVSUNTq-gek

 

Musique chorale

Trois chansons

S’il existe quelques arrangements pour chœur réalisés à partir d’un matériau instrumental, Ravel n’a, de sa propre plume, écrit qu’une pièce chorale originale : ses Trois chansons. Écrites en 1914-15, ces pages font désormais partie du répertoire choral incontournable, mais ne sont pas à la portée de tous les chœurs, de par leur difficulté. Pour l’occasion, Ravel se fait également poète, écrivant lui-même ses trois textes. Et l’on constate avec bonheur que le compositeur n’a pas « que » du talent musical. Ses trois poèmes sont écrits dans le style des comptines enfantines. Il leur donne une tournure archaïsante, les habillant également d’une musique qui rappelle celle de la Renaissance.

Nicolette est une variation sur le thème du Petit Chaperon Rouge avec une merveilleuse touche d’humour. Un thème campe le décor, suivi de trois variations. Dans la première, la jouvencelle rencontre le loup et prend peur. Dans la deuxième, elle rencontre un jeune amoureux et l’éconduit. Dans la troisième, elle se trouve nez à nez avec un horrible personnage « Tors, laid, puant et ventru », lui proposant tout ces écus. « Vite fut en ses bras, bonne Nicolette. Jamais aux prés n’est plus revenue. » Ce n’est pas très romantique, certes, mais fort amusant, ce d’autant plus que Ravel exploite à merveille le thème de la variation, faisant ressortir, pour chacune d’elle, le thème par chaque registre du chœur, variant tempo et harmonie en fonction des personnages.

Plus grave est la deuxième chanson. Trois beaux oiseaux du Paradis développe une mélodie raffinée confiée au soprano solo auquel répondent successivement les soli d’alto, de ténor et de baryton tandis que le chœur soutient la mélodie par un accompagnement sans paroles. La petite phrase en guise de ritournelle (Mon ami z’il est à la guerre) évoque clairement la situation politique dans laquelle Ravel écrit.

La Ronde clôt le triptyque. Une harmonie particulière est installée au cours de cette pièce drôle et virtuose : nous sommes en la majeur, mais avec l’ajout d’un ré dièse apportant une couleur modale myxolydienne. La musique est sublimement écrite, ce à quoi l’on peut s’attendre de la part de Ravel, mais le texte montre à quel point notre compositeur est érudit. En effet, il est conseillé aux jeunes filles et jeunes gens de ne pas aller aux bois sous prétexte qu’ils y rencontreront satyres, sorciers, korrigans, kobolds, centaures, lamies et tout un chapelet de personnages démoniaques toutes époques et traditions confondues. Cette litanie de diables s’enchaine à une vitesse vertigineuse qui oblige les choristes à un périlleux exercice de diction.

Nous vous avons trouvé une interprétation d’une précision redoutable, celle des BBC Singers, qui plus est avec la partition défilante :

https://www.youtube.com/watch?v=AHZctP9hbsg

 

Arrangements

Las de n’avoir à se mettre dans le gosier que ces Trois chansons, d’aucuns se sont penchés sur les pièces orchestrales de Maurice Ravel. Nous n’établirons pas de liste exhaustive de ces arrangements, mais donnerons deux possibilités pour l’arrangeur.

Prendre une œuvre orchestrale et, simplement, faire chanter la ligne mélodique et quelques parties instrumentales sans paroles

Trouver un poème correspondant au caractère de la pièce et, surtout, dont la prosodie peut s’adapter à une ligne qui n’est pas prévue à cet effet. Ce second procédé n’est pas une sinécure, d’ailleurs….

Comme exemple du premier type d’arrangement, la célèbre Pavane pour une infante défunte, arrangée pour chœur d’enfants et piano. L’enregistrement est médiocre, la qualité d’image ne l’est pas moins, le piano est un affreux machin électrique, mais les voix de garçons ont magnifiques !

https://www.youtube.com/watch?v=kjkLx0DNOE4

 

Pour le deuxième type, avec paroles, Thierry Machuel a pris un beau texte de Benoît Richter. Ici, la qualité sonore est excellente, le film magnifique et l’interprétation de l’ensemble Accentus rend à merveille l’ambiance magique du Jardin Féérique, dernier et sublime mouvement des Contes de Ma Mère l’Oye.

Chœurs d’Opéra

Pour la voix, Maurice Ravel a également écrit de magnifiques et précieuses mélodies pour voix et piano. Il a aussi composé deux opéras valant le détour : L’heure espagnole et L’enfant et les sortilèges. Le premier est une courte farce n’utilisant que 5 voix : une dugazon (Concepcion), un ténor léger (Ramiro), un trial (Torquemada), un baryton-martin (Ramiro) et une basse bouffe (Don Inigo Gomez). L’orchestre est très fourni, mais il n’y pas de chœur dans cet opéra.

Pour L’enfant et les sortilèges, par contre, les chœurs tiennent un rôle essentiel. Dans cette féérie lyrique que tout choriste devrait avoir dans son rayon CD (et que tout parent devrait passer à ses enfants), un garçon de sept ans est assis, grognon, devant ses devoirs d'école. La mère entre dans la pièce et se fâche devant la paresse de son fils. Puni, il est saisi d'un accès de colère : il jette la tasse chinoise et la théière, martyrise l'écureuil dans sa cage, tire la queue du chat ; il attise la braise avec un tisonnier, renverse la bouilloire ; il déchire son livre, arrache le papier peint, démolit la vieille horloge. « Je suis libre, libre, méchant et libre !… » Épuisé, il se laisse tomber dans le vieux fauteuil… mais celui-ci recule. Commence alors le jeu fantastique. Tour à tour, les objets et les animaux s'animent, parlent et menacent l'enfant pétrifié. Dans la maison, puis dans le jardin, les créatures exposent une à une leurs doléances et leur volonté de vengeance. Alors que l'enfant appelle sa maman, toutes les créatures se jettent sur lui pour le punir. Mais avant de s'évanouir, il soigne un petit écureuil blessé dans le tumulte. Prises de regret, les créatures lui pardonnent et le ramènent à sa mère en l'appelant en chœur avec lui. L’œuvre se termine par les deux syllabes chantées par l'enfant : « maman ».

Le texte a été écrit par Colette et la rencontre de ses textes avec la musique de Ravel est une parfaite conjonction. Malheureusement, la mise en scène étant fort complexe, le nombre de solistes impressionnant (20 rôles dont certains peuvent être chanté par la même personne), cet opéra n’est pas souvent représenté. Il est toutefois souvent donné en version de concert. Chaque numéro fait découvrir un nouveau personnage et Ravel change totalement de style pour chaque tableau, tout en restant parfaitement fidèle à lui-même.

Le premier chœur intervient vers le début : l’enfant vient d’arracher le papier peint suranné sur lequel figurent des bergers. Ceux-ci s’animent et constatent qu’ils ne pourront pas, à cause la méchanceté du garnement, continuer leur romance. Ravel peint cette bergerie à merveille, faisant chanter une partie du chœur sur la lettre Z, imitant par là un instrument à bourdon type vielle à roue. Il y a là-dessus un rythme de tambour rappelant une danse populaire, là-dessous des bois qui développent des ritournelles folkloriques et, pour donner une couleur particulière, un luthéal (en fait, un piano dans lequel un mécanisme métallique est glissé entre les marteaux et les cordes. Aujourd’hui on place souvent une feuille de papier ou d’aluminium pour remplacer cet instrument dont il ne reste plus qu’un exemplaire, au musée du conservatoire de Bruxelles et une copie au musée de la musique, à Paris).

https://www.youtube.com/watch?v=sUYripNJp_A

Le chœur apporte une ambiance très mystérieuse lorsque l’enfant se retrouve projeté dans le jardin. Grenouilles, chauves-souris, oiseaux, tout une ménagerie qui permet à Ravel de s’en donner à « chœur joie ». Le chœur d’hommes campe également les arbres se plaignant des blessures que l’enfant fit au couteau. Un chœur d’enfant intervient dans un cauchemar arithmétique qui donne le frisson.

https://www.youtube.com/watch?v=YWPpsMPLgrY

Enfin, pour écouter ce bijou en son entier, nous vous conseillons de regarder la sublime production dansée (sur un enregistrement historique et de référence, celui de Lorin Maazel) par le Nederlands Dans Theater, sur la fantastique chorégraphie de Jiří Kylián…

 

https://www.youtube.com/watch?v=7zQxo4kueJc

 

Thierry Dagon